Ca aurait pu être moi.

2h43. Maman veut rentrer. Je voulais encore rester un peu avec mes amis. De toute façon, j’ai ma voiture je peux rentrer plus tard. Oui mais les feux stop ne fonctionnent pas, mieux vaut se suivre, en plus, on est en pleine nuit. C’est samedi. Les gens rentrent de soirée, on ne sait jamais. Bon d’accord, on rentre ensemble.

2h57. Je démarre la voiture. Ma sœur est avec moi. On met la musique, on parle de tout et de rien, surtout de rien et on rit. Maman nous suit dans la grosse voiture derrière. On s’arrête au feu rouge. Et là. On voit.

3h04. Sur notre gauche, il y avait cette voiture. Ohlalala, c’est quoi ça ? J’essaye de calmer ma sœur. C’est juste un carambolage. Juste. J’espère qu’il n’y a rien de grave. Moi aussi, j’espère. Que Dieu les garde. La Clio grise est en miette. Les lumières rouges et bleus éclairent la nuit silencieuse. Les quelques voitures blanches aux écrits bleus barrent la route. C’est peut-être grave enfaite. Vert. C’est vert ! Aucune des voitures qui me précédaient n’avaient bronché. Aucun klaxon pour me signaler la couleur du feu. Aucune remarque. Parce que, eux aussi, ils ont vu.

3h12. Enfin à la maison. Vous avez vu ? Tout le monde se pose la question. Au carrefour ? Bah oui, l’accident, on pouvait pas le rater. Bien sûr ! Ça avait l’air très grave. Tu trouves ? Je sais pas trop… En tout cas, si c’est juste un carambolage, il ne devrait pas y avoir de mort. Si tu le dis. Maman avait l’air très touché et contrarié. Tu vois ? C’est pour ça que je ne veux pas que tu conduises tard le soir comme ça, on ne sait jamais qui tu croises sur la route ! Bon, on verra s’ils en parlent demain. Bonne nuit.

9h46. Réveil léger et agréable. J’allume mon portable, comme à mon habitude. J’effectue de suite une recherche Google. Accident Vaulx-en-Velin. Le Progrès m’annonce la couleur. Un décès et deux blessés graves. Les gens ne comprennent pas pourquoi ils ont installé des feux. Depuis les feux, on ne compte plus les accidents mortels en face de chez nous.

Une semaine s’écoule. J’avais presque oublié. C’est son enterrement aujourd’hui. A qui ? Bah à la fille de l’accident, samedi dernier. Comment tu sais ? C’est une amie de Marie. Cette fille a un lien avec moi. Une amie commune nous lie. Tout de suite, je me sens mal pour elle. Est-ce qu’elle le sait ? Comment a-t-elle réagit ? Faut-il que je la réconforte ? Devrais-je lui dire ce que je ressens ?

Dimanche. Je vais prier et à l’église, on parle d’elle. Elle s’appelait Sephora. Elle allait avoir 23 ans, le lendemain. Elle était passée au vert. L’autre avait grillé le feu rouge. On lui rend hommage. On dit qu’elle aimait Dieu. On dit qu’elle était jeune. On dit qu’elle est retournée au ciel. On dit plein de jolies choses. Et moi, je pleure. Je pleure quelqu’un que je ne connais même pas de vue. Sans trop savoir pourquoi, je me sens proche d’elle. Elle aurait pu être mon amie, à moi aussi. J’aurai pu la connaître. J’aurai pu être dans cette voiture. J’aurai pu conduire cette voiture, cette nuit-là. Mais ça n’était pas le cas.

Ça ne l’était pas, mais ça aurait pu être moi.